DESERTS MEDICAUX : bilan et perspectives au niveau national

CONSTAT :

Un sombre tableau :

 Aujourd’hui en France, il y a 230 000 médecins en tout, dont 99 500 généralistes et 130 000 spécialistes (chiffres de la DREES) pour 68 millions d’habitants. Soit 1 médecin pour 300 habitants en théorie (1 pour 700 si on réduit aux généralistes). Pourtant 1/3 des Français vivent dans des déserts médicaux (source : Sénat, 2022) dont entre 7 et 9 millions sans médecins traitants, et parmi eux 500 000 en ALD (maladies chroniques), à l’heure où les besoins vont croissant puisque la population vieillit, et que les maladies chroniques sont en préoccupante augmentation, affectant 36% de Français en 2023. Or, entre 2021 er 2028, une baisse continue du nombre de médecins est à prévoir, faute d’avoir été anticipée. Le retour au niveau de 2021 est prévu pour… 2036. En attendant, une décennie noire attend les Français, avec l’abandon sanitaire de bassins de populations entiers. Sauf si des mesures courageuses sont prises par le Gouvernement – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

« Le pire est à venir ».

Il se dessine déjà lourdement dans les zones rurales : visites à domicile en voie de disparition ; allongement obligatoire des distances parcourues pour se soigner (en voiture, et tant pis pour le réchauffement climatique) ; allongement des délais d’attente (des mois pour les spécialistes) et retards de prises en charge ; saturation des Urgences à l’hôpital. Si à ce tableau on ajoute : les déconventionnements de médecins qui se séparent de la Sécurité Sociale et pratiquent des tarifs libres, les refus de prise en charge (« Désolé, nous ne prenons plus de nouveaux patients »), les dépassements d’honoraires des spécialistes, les CONSEQUENCES sont  DRAMATIQUES : patients qui cessent de se soigner, retards de diagnostics, retards dans la prévention, complications, pertes de chances, surmortalité (décès qui auraient pu être évités). La réduction de l’espérance de vie est déjà aujourd’hui de 2,3 ans en zone rurale. Et depuis 2022 l’espérance de vie en bonne santé après 65 ans est en baisse. Sans parler de l’épuisement des médecins surchargés en exercice, eux-mêmes menacés dans leur santé.

La rupture du Pacte Républicain :

Pourtant les cotisations sont identiques pour tous les Français, même sans contrepartie quand le service médical qu’ils financent n’est pas assuré. Pourtant, ce sont les citoyens qui financent les études de médecine, à la différence de pays comme les Etats-Unis où elles sont payantes (et très coûteuses). Ils financent aussi la Sécurité Sociale à travers leurs cotisations et l’impôt. La contrepartie attendue est logique : que chacun puisse être correctement soigné. Ce n’est pas le cas pour 1/3 de la population, partagée entre le désarroi et la colère face à cette rupture du pacte républicain. Le droit à la santé est inscrit dans la CONSTITUTION, art. 11 du Préambule. La pénurie médicale est donc inconstitutionnelle. D’où la légitimité des Recours au Conseil d’Etat (cf. Maître Corinne LEPAGE pour notre association en 2021, et l’action en cours intentée par l’UFC-QUE CHOISIR avec la pétition « J’accuse l’Etat ». « Là où les déserts médicaux avancent, c’est la République qui recule. » (Guillaume GAROT, député de la Mayenne, août 2023).

CAUSES :

Pourquoi de moins en moins de médecins dans les territoires, et en première ligne de généralistes, au moment où les besoins vont croissant ? De nombreux médecins nés après la guerre et formés dans les années 70 partent à la retraite : la baisse des effectifs est continue depuis 2000.Par ailleurs, tous les étudiants en médecine ne vont pas sur le terrain une fois diplômés : ils peuvent choisir la recherche, l’enseignement, l’administration et la gestion des structures de santé, et même la politique (combien de médecins parmi les députés et les ministres ?). Ils peuvent décider d’être médecins remplaçants, ce qui peut se pratiquer aujourd’hui à vie. Ils peuvent également choisir de s’expatrier (en Belgique, en Suisse, au Canada, en Israël…). Il faut considérer aussi la baisse de la durée annuelle de travail chez les jeunes médecins, dont 51% sont aujourd’hui des femmes. Les nouvelles générations, hommes et femmes, souhaitent un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur activité professionnelle, et de nouvelles façons d’exercer (médecine de groupe par exemple). La responsabilité des gouvernements de droite comme de gauche depuis des décennies est grande : pas d’anticipation, aucune mesure qui prévienne efficacement la catastrophe pourtant annoncée. Et comment ne pas s’alarmer que depuis 2017, sept ministres de la Santé se soient succédé ? En 18 mois, avec Catherine  VAUTRIN, c’est le 5ème ministre (en même temps ministre du Travail et des Solidarités). Avec Fréderic VALLETOUX, associé à Madame VAUTRIN depuis le 8 février 2024 comme « Ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention », cela fait 6 en 18 mois !

MESURES proposées par le gouvernement actuel :

  • La fin du numerus clausus: elle a été décidée en 2021 ; ses premiers effets ne se produiront pas avant 2031, puisque la durée des études de médecine est de 10 ans minimum.
  • L’appel aux médecins étrangers, européens et extra-européens (cubains par exemple).
  • La télémédecine.
  • L’augmentation du nombre d’assistants médicaux et d’IPA (Infirmiers de Pratique Avancée) pour soulager les médecins et libérer du temps de consultation.
  • La délégation de tâches aux pharmaciens (vaccins, prescriptions dans certaines affections), ainsi qu’aux sages-femmes (dépistage du cancer du col de l’utérus par exemple).
  • La 4ème année d’internat pour les généralistes, avec service obligatoire en zones sous-dotées.
  • L’augmentation du nombre de Maisons de Santé Pluridisciplinaires (MSP), et des CPTS (gestion au niveau local des besoins médicaux, qui associe tous les professionnels de santé d’un territoire, médicaux et paramédicaux).
  • Les incitations financières (50 000 euros d’aide à l’installation de jeunes médecins, exonérations d’impôts, etc). 

MESURES préconisées par l’ACCDM :

  • La régulation d’installation : c’est la mesure la plus évidente et la plus simple à mettre en œuvre (appelée aussi « conventionnement différencié »), au moins transitoirement pour les 10 ans à venir. Elle ne coûterait rien à l’Etat. C’était une promesse électorale de M. MACRON en 2022, non tenue après sa réélection. Les lobbies médicaux s’opposent à cette mesure, ainsi que l’Ordre des Médecins qui parle de « coercition » insupportable, farouches défenseurs de la tradition libérale en France de la liberté d’installation. Pourtant, cette mesure essentielle pourrait s’appliquer très vite, et ne coûterait rien au budget de l’Etat.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          Elle se traduirait par :
  • la limitation du conventionnement en région bien pourvue : un nouveau médecin ne pourrait s’y installer que pour reprendre le cabinet d’un médecin qui part en retraite ; le nombre élevé de ces départs en retraite dans les années à venir fera quand même de la place aux nouveaux…
  • l’installation prioritaire des nouveaux médecins en zones sous-dotées, et leur conventionnement de droit (c’est-à-dire 80% du territoire, ce qui laisse une belle marge de manœuvre tout de même quand au choix de son implantation géographique).
  • l’obligation transitoire de travail en zones sous-dotées pour tous les généralistes et spécialistes disponibles pour une durée de 2 ans.

         

La régulation d’installation pour les professionnels de santé existe déjà

  • pour d’autres professions médicales (dentistes depuis l’été dernier, infirmiers, kinés, sages-femmes, pharmaciens) ;
  • pour d’autres professions libérales (un notaire ne s’installe pas où il veut, et cette régulation n’a pas produit d’érosion des vocations…) ;
  • dans les DOM-TOM : en Nouvelle-Calédonie depuis 1996, et en Polynésie depuis 2000.
  • Ailleurs en EUROPE : en Autriche, en Suisse, en Allemagne, au Royaume-Uni, au Canada…

Elle peut s’envisager comme provisoire (position de l’UFC-Que Choisir) en attendant que l’offre de soins redevienne satisfaisante (à l’horizon 2050… ?)

  • la limitation des remplacements à 4 années maximum sur toute une carrière pour les médecins nouvellement formés :

il y a aujourd’hui 13 000 remplaçants, et c’est possible à vie. On peut craindre que l’augmentation du nombre des télécabines n’amplifie le phénomène…

  • La généralisation de la délégation de tâches des médecins (IPA et des assistants médicaux) qui libère du temps de consultation

D’autant que les aides sont généreuses pour l’aide à l’emploi des Assistants Médicaux  par les médecins des cabinets libéraux (entre 10 500 et 36 000 euros par année), financée par l’Assurance Maladie.

LES COLLECTIVITES LOCALES :

Pour pallier l’insuffisance des mesures face au désastre en cours (et à venir) des déserts médicaux, l’Etat semble compter sur les Collectivités Locales, et se décharger sur elles pour prendre en charge l les populations abandonnées. Comme si l’Etat disait : « Débrouillez-vous ». De bonnes idées, il n’en manque certes pas localement, comme par exemple :

  • les « médicobus » qui dans certains départements circulent pour proposer des consultations, des dépistages et faire de la prévention.
  • les médecins retraités volontaires qui reprennent le travail dans certaines conditions (temps partiel, aides, exonérations de cotisations retraite), salariés par des Communes, Départements, Régions…
  • le recensement par les CPTS et/ou les CPAM, des patients sans médecins pour leur trouver des rendez-vous.
  • Le travail médical partagé tel que l’organise l’association MEDECINS SOLIDAIRES fondée par Martial JARDEL.

Mais ces initiatives, pour inventives et dévouées qu’elle soient, restent ponctuelles et palliatives. Par ailleurs, elles peuvent mettre en concurrence les territoires, ce qui n’est pas bon pour leur cohésion. Ces recours restent très éloignés des mesures d’urgence désespérément attendues par le citoyen pour le rétablissement partout en France de la démographie médicale et de la qualité des soins auxquels ils ont DROIT.

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